Entretien avec Caroline Gonin, comédienne au théâtre de la Bastille

Entretien avec Caroline Gonin, comédienne au théâtre de la Bastille

Le samedi 18 mars, la classe de 1S4 du lycée Louis Armand, en compagnie de Mme Girard et de leur professeur de français, M. Aliane, a assisté à la représentation de La Mouette de Tchékhov, au théâtre de la Bastille, dans le onzième arrondissement de Paris. Cette pièce a été mise en scène par Thibault Perrenoud.

Deux semaines plus tard, l’actrice qui a joué le personnage de Macha, Caroline Gonin, a accepté de venir dans notre classe pour nous faire part de son expérience d’actrice et pour répondre à nos interrogations :

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« Est-il possible de jouer une pièce, ou un personnage que l’on n’apprécie pas forcément ? »

Caro : Pour jouer une pièce de théâtre, on n’est pas forcé de l’aimer car au théâtre, les acteurs se disent que rien n’est négatif, que ce soit dans la pièce elle-même ou dans le caractère du personnage. Il ne faut pas juger le personnage. Tout ce qui est négatif chez un personnage devient positif pour l’acteur. Jouer une pièce de théâtre reste quand même un métier, il faut parfois prendre son mal en patience.

« Pour jouer faut-il changer sa personnalité du tout au tout ? »

Caro : Il y a beaucoup de façon de jouer ou de créer une pièce. Il y a le « je » de l’acteur et le « je » du personnage. Il ne s’agit pas d’oublier sa personnalité mais plutôt de combiner la sienne à celle du personnage. Pour cela on peut s’aider du texte et des didascalies. Il faut ouvrir son imaginaire. Au théâtre, il y a toujours plusieurs interprétations pour un seul personnage qui dépendent souvent de la réactivité du spectateur car il est lui-même un personnage à part entière du jeu théâtral.

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« Comment pourrions-nous créer une nouvelle forme de théâtre pour mieux retenir l’attention des spectateurs ? »

Caro : Pour cela, il faut parfois trouver une forme nouvelle pour le texte de théâtre. La pièce de Tchékhov que vous avez vue a été traduite et actualisée par Clément Camar-Mercier. Par exemple, dans le texte initial, il est écrit que ça sent « le soufre », et pour réaliser cela, les acteurs se sont servis des pétards, qui n’étaient pas utilisés dans la pièce de Tchékhov. Pour prendre un autre exemple, la raison pour laquelle les personnages fument est que certaines fois les personnages de Tchékhov doivent priser du tabac à des moments bien précis. La cigarette, comme les costumes, les accessoires étaient un moyen pour nous d’adapter la pièce à notre public. Le metteur en scène voulait ainsi que le public ressente certaines impressions uniques qu’on ne pourrait pas retrouver dans une représentation classique : l’utilisation de l’odorat et du toucher, qui sont considérés par le théâtre classique comme des sens vulgaires, ainsi que la disposition en quadrifrontale ont permis de mieux retenir l’attention du spectateur.

« Pourquoi avoir fait répéter quelques lignes du texte de Tchékhov aux spectateurs ? »

Caro : Nous avons demandé également aux spectateurs de se tenir la main en répétant ces mots. Lors de certaines représentations les spectateurs n’ont pas voulu le faire. Certains n’ont pas même voulu prononcer les phrases du texte. En abattant le quatrième mur, en sollicitant tous les sens du spectateur, en modifiant les jeux de scène, la lumière, le décor…, nous créons les conditions pour que le public communie davantage avec les personnages et l’action de la pièce. La répétition de ces quelques lignes participe du même désir de créer une nouvelle forme de théâtre, alors que tout a presque déjà été exploré, et permet de créer quelque chose de magique chez les spectateurs qui deviennent acteurs à leur tour. Acteurs et spectateurs se retrouvent alors au même niveau que les personnages et communient ensemble à travers le texte dans le jeu théâtral. Il s’agit en fait d’une véritable incantation.

« C’est plus difficile de jouer sans le quatrième mur ? »

Caro : La préparation au préalable est un peu plus compliquée que la préparation d’une représentation traditionnelle. La règle du théâtre classique qui dit de ne pas tourner le dos au public n’est plus respectée dans notre mise en scène, et ce qui a été compliqué avec la disposition en quadrifrontale, c’est qu’il faut toujours avoir un acteur en face du public. Les scènes collectives sont plus dures à jouer également parce que pour savoir ce qui se passe derrière lui l’acteur doit le lire sur les visages des acteurs qui lui font face. Pour bien saisir tout ce qui se passe autour d’eux les acteurs sont encore très peu fixes et sont souvent en mouvement.

« Qu’est ce qui est le plus dur à faire dans cette pièce ? »

Caro : Le plus dur dans cette pièce était de parler à tout le public, même lorsque de nous étions dos à eux. Il fallait constamment se replacer pour que le public puisse souvent nous voir. Il y a aussi les moments de forte émotion qui sont durs à réaliser car parfois l’émotion ne vient pas et ce n’est jamais naturel. Par ailleurs cette émotion doit être jouée en série et nous ne devons pas rechercher la façon dont nous l’avons interprétée le jour précédent mais ajouter à chaque fois quelque chose de nouveau.

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« Combien de temps nécessite la réalisation d’une représentation théâtrale ? »

Caro : La préparation de la pièce s’est déroulée en deux temps. Le travail à la table a pris une semaine. C’est la phase qui consiste à analyser le texte et construire autour des personnages toute une histoire, une biographie. Il fallait que nous inventions les vies de tous les personnages pour entrer dans leur intimité et pour leur donner davantage d’étoffe et de densité mais également pour nous permettre de mieux en cerner les différentes facettes et bien les interpréter. Les répétitions ont ensuite pris trois mois jusqu’à la première.

« Les réactions des spectateurs correspondent-elles toujours à vos attentes ? »

Caro : L’atmosphère d’une salle de théâtre peut varier du tout au tout surtout selon que l’on joue un jour de semaine ou le weekend. Il arrive souvent que les spectateurs soient très distants et passifs à l’égard de ce qui se joue devant eux. La présence de « scolaires » est souvent réconfortante, elle rend la représentation plus dynamique. La plupart du temps, les réactions sont celles attendues mais il y a des moments où elles sont soit meilleures que prévues soit moins bien. Les acteurs guettent toujours les réactions du public, s’inquiètent de ses silences aux moments où ils attendaient une réaction particulière, et estiment leur performance en comparant les différentes représentations. La présence de votre classe ce soir-là a favorisé les moments de rire par exemple puisque les jeunes ont plus de facilité à rire et à exprimer leurs émotions que les personnes plus âgées.

« Pensez-vous qu’il y ait une morale à cette histoire ? »

Caro : Non je ne pense pas qu’il y est de morale à cette histoire cependant je pense qu’il y a plusieurs interrogations ou problématiques comme celle concernant le rapport de la mère à l’enfant, celle portant sur métier d’artiste, celle s’intéressant à ce qu’est une forme littéraire nouvelle, celle sur l’amour, avec les triangles amoureux, celle sur la mort et celle sur la vie… Cette pièce est très riche et c’est aussi pour cela que nous avons choisi de la représenter.

« Peut-on vivre du métier de comédien ? »

Caro : On peut vivre du théâtre… Oui on peut en vivre. Mais de nombreux comédiens sont obligés d’avoir un boulot alimentaire à côté. En fait nous entrons dans la catégorie de ce qu’on appelle les intermittents du spectacle. Nous avons souvent des contrats d’une durée plus ou moins brève. Parfois même nous travaillons bénévolement pour faire fonctionner un spectacle. Nous sommes toujours en mouvement et la paie fluctue selon les mois et les années. Disons qu’il y a des inconvénients et des avantages.

L’atmosphère était chaleureuse et conviviale. L’interview a permis d’éclaircir certains points et certaines interrogations que nous avions.

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Interview réalisée par le collectif de la classe innovante de 1S4